Compte rendu de l’atelier du 23 janvier 2014

 

Le propos :

Avec la place prépondérante que prend le web 2.0, les relations presse atteignent-elles leurs limites ou a contrario cela renforce-t-il le champ des compétences des professionnels des RP dans les stratégies de communication ?
Le web 2.0 a fait émerger de nouvelles pratiques, les relations presse sont donc en pleine mutation dans l’exercice quotidien des professionnels. Au-delà de ce constat, cela pose la question de l’ADN des relations presse et de la valeur ajoutée que demain les professionnels vont devoir valoriser.

L’intervenante :

Docteur en Sciences Sociales, Frédérique Pusey a un parcours universitaire pluridisciplinaires entre la géographie politique, l’histoire et les sciences de la communication. Elle a débuté sa carrière comme journaliste avant de créer FP&A, une agence conseil en stratégie de relations presse et communication de crise.
Frédérique Pusey a pu constater en 25 ans les profonds bouleversements opérationnels mais aussi théoriques que ce métier a franchit. Elle est Présidente du SYNAP, le Syndicat National des Attachés de Presse et conseil en relations publics.

Le lieu de l’atelier :

Le cabinet d’avocat Latham & Watkins rue Saint Dominique à Paris a accueilli, jeudi 23 janvier cet atelier. L&W est un cabinet d’avocats d’affaires d’origine américaine, qui
compte 32 bureaux répartis aux Etats-Unis, en Asie, en Orient et en France. A travers le monde, 2 000 avocats représentent le cabinet, dont 85 à Paris. Depuis 2001, le cabinet gère les fusions, acquisitions, le droit bancaire, financier, fiscal, social… Le cabinet a notamment fait l’actualité en 2013, représentant l’alliance Omnicum / Publicis. La direction marketing et communication compte 4 personnes (marketing, communication, RP, corporate, événements, accompagnement des avocats dans leur professionnalisation). Le cabinet a créé un réseau féminin pour valoriser et fédérer les carrières des femmes avocates.

Le compte-rendu :

Frédérique Pusey, pose d’emblée la tonalité : « Il ne s’agit pas de proposer des recettes magiques, plutôt des conseils et partager les retours d’expériences du SYNAP ». La question du rôle des attachés de presse à l’heure du 2.0 fait l’actualité depuis plus d’un an (tables rondes, exportées dans 5 régions), et se pose en ces termes : la prépondérance du 2.0 constitue-t-il un frein ou un atout pour le métier d’attaché de presse, et plus largement que sera ce métier demain ?
Aujourd’hui personne ne peut faire l’impasse sur la communication digitale. Mais quel est le modèle économique qui permet aux attachés de presse d’exister, de créer du sens et de la valeur ? Existe-t-il des relations presse 2.0 ?

Constats :

– Le 2.0 créé de nouvelles attentes des clients, génère de nouvelles pratiques et renouvelle les frontières du métier d’attaché de presse

Les cibles évoluent, il s’agit d’en tenir compte :

  • La presse papier professionnelle déclinée au format numérique
  • La presse grand public déclinée à travers les Webzine
  • Le Web 2.0 regroupe à présent les pure players d’une part, les portails d’autre part qui ne sont pas qualifiés et présentent des limites (issus à l’origine du monde de la finance et de la nécessité pour les entreprises du CAC 40 d’informer en temps réel)

– Avec cette évolution, le métier de journaliste mute : les rédacteurs de contenus s’imposent davantage. L’information est diffusée en ligne, et les dossiers de presse de plus en plus événementialisés. Par ailleurs, la sédentarisation des journalistes constitue un phénomène inquiétant. L’information en ligne est addictive : le temps est accéléré. Corollaire : la mise en ligne d’informations non vérifiées, souvent reprises in extenso des CP et/ou DP fournis par les attachés de presse. Pour les journalistes, le risque d’appauvrissement des connaissances est patent. Enfin créer des relations pérennes et de confiance entre attachés de presse et journalistes se délite.

Une autre cible est identifiée, dont le modèle économique est confus : les bloggers. Influenceurs paradoxaux qui se revendiquent libres de toute influence. Hédonistes, individualistes, indépendants, animés par leurs passions qui souvent a pour conséquence un manque de distance. Or, ils véhiculent des marques, des opinions. Leur problème majeur est un sourcing incomplet et superficiel. Le risque ? Qu’ils manipulent l’information. Il s’agit aujourd’hui d’entretenir cette cible, qui refuse de se mélanger et qui pour autant évolue dans une sphère relationnelle, de manière ultra-personnalisée et de réinventer la relation « presse » avec eux. La limite des bloggers réside dans un modèle économique non pérenne, dont les contours seront à délimiter, et à normer. Par ailleurs, l’absence d’analyses crédibles de leurs audiences (le clic, à ce stade) n’est pas suffisant pour crédibiliser leur business modèle, et le rentabiliser.

Dernière cible : les réseaux sociaux, plateformes communautaires et conversationnelles qui créent la confusion. L’ensemble est disparate, et leur légitimité peu probante au regard de l’expertise métier des attachés de presse.

Une réserve : Twitter, à la 9è place des réseaux sociaux avec 4% d’abonnés supplémentaires /an constitue un réel outil de veille et d’information, d’influence et de lobbying. Selon une étude Aura Mundi / Argus de la Presse de juillet 2013 sur l’usage de Twitter, 2,3 millions de français sont abonnés : 53% s’informent sur l’actualité en général et 45% jugent ce média indispensable et nécessaire au quotidien.

– Ultime constat : nos clients, les annonceurs, adoptent une stratégie de médias sociaux davantage par peur (souci de leur réputation), qu’animés par une réelle ambition et sous-tendus par une stratégie marketing de prise de parole ciblée. Cela créé une frustration : les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous, et le temps passé n’est pas rémunéré à sa juste mesure. L’approche est immature.

Dans ce contexte, quelle est la valeur ajoutée des attachés de presse ?

– L’attaché de presse est avant tout porteur de conseil, de pédagogie et de sens. Il apporte une garantie de fidélisation de la relation avec les clients. Il est à même de gérer des stratégies d’approches et de les adapter aux réseaux sociaux, donc aux cibles identifiées, de mettre en place les outils ad hoc, de gérer un contenu sensé et d’assurer une veille. Pour peu qu’ils ne soient pas externalisés, l’un des gages de réussite.

– Cela impose :

  • D’informer, plutôt que de communiquer.
  • De ne pas faire l’économie de Twitter (information, veille, recherche d’influences), même si de manière globale une stratégie de prise de parole sur les médias sociaux relève davantage d’une approche marketing que
  • d’une expertise d’un attaché de presse.
  • Une réactivité, induite par le temps réel imposé par les médias sociaux. D’où cette nécessaire internalisation des compétences, pour être au coeur de l’entreprise, de l’action, en particulier en cas de gestion de crises. Le circuit d’information est trop court pour une ressource externalisée efficace.
  • Une veille permanente, 24H/24

L’attaché de presse est à donc à dissocier du Community Manager et des équipes marketing, légitimes pour adopter et maintenir une stratégie de médias sociaux internalisée.

En synthèse l’attaché de presse devient un conseil en relations médias ; encore faut-il savoir de quoi on parle et quelle(s) définition(s) des médias :

– Médias au sens de medium (latin) : milieu intermédiaire, médiation (étymologie).

– Médias sociaux au sens d’échanges et de transmission d’informations, le réseau social n’étant qu’un moyen parmi d’autre pour transmettre.

– Le risque majeur serait que l’attaché de presse soit dilué dans les métiers de relations publiques. Or, l’ADN de l’attaché de presse est bien particulier et irremplaçable :

  1.  Il maîtrise le fonctionnement interne des médias qu’ils soient ou non en ligne, et les mécanismes d’une rédaction.
  2.  Il est flexible, réactif et créatif.
  3.  Il sait décrypter les indicateurs positifs, négatifs, neutres ; gérer un baromètre de crise, assurer une veille pertinente.
  4.  Il a la capacité de travailler à la création de sens : il sait raconter une histoire, cadrer un discours, simplifier des éléments d’informations complexes. Il est un professionnel de la sémantique des messages.
  5.  Il dispose d’une capacité de recul sur les enjeux de l’entreprise au travers de l’observation de ses acteurs.

Bref, il est spécialiste de la relation. Un expert qu’aucun blogger ou journaliste ne pourra concurrencer.
En conclusion, le Web 2.0 créé une onde de choc pour les communicants et les annonceurs mais les crises sont à la fois danger et opportunité (idéogramme chinois). L’attaché de presse est porteur d’une valeur ajoutée sans égale, maillon essentiel des organisations, avec un sens de l’analyse et de la synthèse qui constitue son coeur de métier, pour diffuser des messages porteurs de sens adaptés aux différentes cibles identifiées. Il créé de la valeur au sein d’une entreprise, il est la clé de voûte des données immatérielles des organisations. Il est enfin le plus à même de redéfinir les bases du dialogue avec les médias sociaux, journalistes, bloggers… et rétablir la confusion qui règne.
Il convient avant tout de se poser la question de l’éthique de nos professions, l’éthique des relations presse dans un monde numérique qui effraie, basé sur 4 notions à cadrer : transaction, négociation, mise en scène, manipulation. C’est aux professionnels des relations presse de redéfinir les règles du jeu et l’essence de leur métier, à différencier de l’identité propre aux professionnels de la communication ou du marketing. Aux
professionnels des relations presse d’être inventifs, de recréer le sens à travers l’information, gage de crédibilité.

Propos recueillis par Isabelle Kevorkian
Bloggeuse – Rédactrice indépendante

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